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Lesbiennes et révolutionnaires  : marxisme, matérialisme et non mixité

Lesbiennes et révolutionnaires  : marxisme, matérialisme et non mixité

Ce samedi 26 avril 2025 c’est la journĂ©e internationale de la visibilitĂ© lesbienne. Et comme depuis quatre ans, une manifestation aura lieu Ă  Paris. C’est l’occasion de revenir pendant ce mois de la visibilitĂ© lesbienne sur l’histoire de nos luttes et de la construction de l’identitĂ© gouine en tant qu’identitĂ© politique. Alors qu’aujourd’hui nous sommes prises entre le rouleau compresseur de l’ordre rĂ©actionnaire et d’une politique d’intĂ©gration massive du capitalisme, il nous semble nĂ©cessaire de reprendre nos histoires pour en comprendre la portĂ©e. Car loin de nous satisfaire de la seule visibilitĂ©, aux inverti·e·s nous pensons l’identitĂ© comme l’outil d’une stratĂ©gie rĂ©volutionnaire pour nous Ă©manciper. 

Par Les Inverti.e.s ·

Nous ne sommes pas gouines parce que nous nous sentons gouines, nous le sommes parce que le systĂšme nous fait gouines, c'est-Ă -dire des marginales exclues de la structure hĂ©tĂ©rosexuelle. Nous sommes gouines parce que nos dĂ©sirs sexuels nous permettent d’échapper Ă  une partie de la violence structurelle de la famille nuclĂ©aire du systĂšme capitaliste. Nous sommes gouines et donc partiellement femmes. Nous sommes gouines parce que le systĂšme nous a dĂ©fini comme Ă©tranges et potentiellement dangereuses, inaptes Ă  la reproduction sociale. Cette identitĂ© qu’on nous assigne, nous faisons le choix de la reprendre, de la rendre politique, de rendre politique nos dĂ©sirs et nos sexualitĂ©s pour mettre Ă  jour la violence systĂ©mique et faire Ă©clater les contradictions du systĂšme. Nous faisons le choix d’investir ce qu’il y a de rĂ©volutionnaire dans nos identitĂ©s. 

Dans cet article, nous revenons sur les tensions qui existent entre lesbiennes et mouvement rĂ©volutionnaire, sur la nĂ©cessitĂ© historique de la non mixitĂ© mais aussi sur l'importance du marxisme pour sortir de l’impasse stratĂ©gique.


Les années 1970, la politisation et les luttes

Pour comprendre lĂ  oĂč nous en sommes aujourd’hui, il est nĂ©cessaire de revenir sur le tournant des annĂ©es 70 et la rupture qu’il a marquĂ© dans la politisation homosexuelle et a fortiori lesbienne. Non pas parce que nous verrions la construction de l’identitĂ© uniquement par le biais de son prisme occidental, c’est-Ă -dire schĂ©matiquement : Stonewall - SIDA - intĂ©gration, mais bien parce que la politisation qui existe Ă  ce moment lĂ  nous montre comment l’identitĂ© peut devenir un vecteur de conscientisation et de mise en action. Autrement dit, comment d’opprimé·e·s, nous devenons sujets.

Pour autant, cela ne veut pas dire que l’identitĂ© lesbienne ou homosexuelle n’existait pas avant, car cette identitĂ© se construit Ă  mesure qu’elle est rĂ©primĂ©e, comme nous l’avons Ă©voquĂ© plus haut. Cela ne veut pas non plus dire qu’elle ait existĂ© en tout temps et en tout lieu. En effet, d’un point de vue matĂ©rialiste, l’identitĂ© ne peut se limiter Ă  des pratiques ou des dĂ©sirs, il faut encore que ses pratiques et ses dĂ©sirs aient une rĂ©alitĂ© matĂ©rielle et collective dans le systĂšme dans lequel elles ont cours. C’est-Ă -dire qu’on ne peut pas considĂ©rer les identitĂ©s LGBTI comme des identitĂ©s sorties ex nihilo, d’idĂ©es, de pratiques subversives isolĂ©es. Il convient au contraire de les comprendre comme directement liĂ©es au dĂ©veloppement des diffĂ©rentes phases de production du systĂšme capitaliste, et des modifications que ce dĂ©veloppement a causĂ© dans les rapports de genre.

Or, dans les annĂ©es 70 en France, mais aussi Ă  d’autres endroits dans le monde, l’homosexualitĂ© devient vecteur d’une forme de radicalitĂ© rĂ©volutionnaire alors qu’elle est encore pĂ©nalisĂ©e et surtout encore massivement dĂ©considĂ©rĂ©e Ă  gauche. Les positions de dirigeants du PCF ou de la CGT[1] Ă  l’encontre de la “perversion petite-bourgeoise” montrent l’incapacitĂ© du mouvement ouvrier Ă  poser les questions de sexualitĂ©.

Plus gĂ©nĂ©ralement au sein des partis, c’est dans les courants staliniens que la violence Ă  l’encontre de cette rĂ©flexion sur la sexualitĂ© est la plus forte. Ce dernier point poursuit l’hypothĂšse de “contre-rĂ©volution” du stalinisme par rapport aux premiĂšres annĂ©es de la RĂ©volution Russe[2]. Ce qui est vrai pour le stalinisme l’est Ă©galement pour les autres courants communistes. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on ne peut pas dire que le communisme ait Ă©tĂ© Ă  la pointe de ce mouvement de questionnement de la sexualitĂ©, malgrĂ© la prĂ©sence de nombreuses militantes et militants homosexuel·le·s dans ces organisations. Si une commission homosexuelle est par exemple créée Ă  la Ligue Communiste RĂ©volutionnaire Ă  partir des annĂ©es 70, il faut attendre 1977 pour que celle-ci devienne nationale[3]. Et, cette mĂȘme annĂ©e, alors que le GLH (Groupe de LibĂ©ration Homosexuelle) d’Aix-en-Provence dĂ©cide de se prĂ©senter aux Ă©lections municipales, on peut lire dans Rouge, journal officiel de la Ligue, une dĂ©nonciation de cette candidature, sous prĂ©texte qu’il s’agirait d’une diversion par rapport Ă  la lutte des classes[4].

Ce qui est vrai dans les annĂ©es 1970 l’est Ă©galement auparavant. Au dĂ©but du XXᔉ siĂšcle le mouvement communiste est plutĂŽt “tolĂ©rant” sur la question homosexuelle, celle-ci est par exemple dĂ©pĂ©nalisĂ©e dans les premiĂšres annĂ©es de la RĂ©volution Russe. Toutefois peu de communistes Ă©crivent sur la question, Ă  l’exception notable de Magnus Hirschfeld[5] et l’institut de sexologie. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les questions de sexualitĂ© sont relĂ©guĂ©es comme secondaires Ă  la lutte des classes par les communistes. Elles sont au mieux vues comme des pratiques Ă  tolĂ©rer, au pire comme un dĂ©tournement du mouvement ouvrier, mais jamais comme un vecteur rĂ©volutionnaire en elles-mĂȘmes.

Mais malgrĂ© toutes ces difficultĂ©s, il est impossible de penser la construction de l’identitĂ© homosexuelle ou lesbienne rĂ©volutionnaire sans la lier Ă  la classe d’une part, et au mouvement ouvrier et communiste d’autre part. De maniĂšre similaire, on ne peut pas imaginer ce qu’aurait donnĂ© le mouvement lesbien et homosexuel sans l’influence des mouvements autonomes, notamment fĂ©ministes, et sans l’influence qu’a produit mai 68 sur la pĂ©riode. Ce n’est pas pour rien qu’un des ouvrages majeurs de la littĂ©rature lesbienne, Les GuĂ©rillĂšres de Monique Wittig, paraĂźt en 1969 ou que le groupe lesbien non-mixte le plus connu s’appelle les Gouines Rouges. Si la tension entre le mouvement ouvrier mixte et le mouvement homosexuel est bel et bien prĂ©sente au cours de ces annĂ©es, l’effacement ces vingt derniĂšres annĂ©es du rĂŽle central du marxisme dans la production de cette pensĂ©e homosexuelle rĂ©volutionnaire n’est pas la solution. Il ne peut produire qu’un manque de comprĂ©hension de nos propres luttes.


Avant les années 1970, un militantisme homosexuel tourné vers le lobbying

Avant le tournant des annĂ©es 1970, une activitĂ© politique homosexuelle (quasi-exclusivement masculine) est organisĂ©e autour de revues comme Arcadie. Au-delĂ  de simples revues, c'est tout un Ă©cosystĂšme communautaire qui se constitue autour, au sein du mouvement dit “homophile”. Une activitĂ© politique y existe, comparable Ă  des formes de lobbying, surtout via l'intermĂ©diaire de son crĂ©ateur AndrĂ© Baudry. L’objectif principal est alors le besoin de respectabilitĂ© et l'intĂ©gration aux normes sociales bourgeoises. Arcadie compte plus de 10000 adhĂ©rents Ă  la fin des annĂ©es 60 et 30000 Ă  la fin des annĂ©es 70. Des dĂ©lĂ©gations existent dans d'autres villes que Paris et celles-ci font partie des rares espaces de sociabilitĂ© homosexuelle avant les annĂ©es 70 (en excluant le cruising).

Les relations politiques de Baudry permettent une relative tranquillitĂ© autour des activitĂ©s d'Arcadie, lĂ  oĂč les autres revues homosexuelles de l’époque n'ont pratiquement jamais pu survivre plus d'un ou deux numĂ©ros. Arcadie s'ouvre aux lesbiennes Ă  la fin des annĂ©es 60. Selon le rapport contre la normalitĂ© du FHAR (Front Homosexuel d’Action RĂ©volutionnaire), elles seraient 300 adhĂ©rentes en 1969 (contre 11500 hommes homosexuels). Cependant, elles ne parviennent pas Ă  se faire une place au sein du mouvement homophile et leurs relations avec Baudry sont trĂšs mauvaises. C'est pourquoi une partie d'entre elles fondent le FHAR en 1971 avec des militantes lesbiennes du MLF (Mouvement pour la LibĂ©ration des Femmes) et des membres d'un groupe de jeunes gays d'Arcadie, eux aussi en mauvais termes avec Baudry et sa ligne. C’est l’action coup d’éclat lors de l’émission de radio “L’homosexualitĂ© ce douloureux problĂšme” du 10 mars 1971 qui en est l’acte fondateur. Celui-ci revendique l’éclatement de la norme hĂ©tĂ©rosexuelle dans le journal TOUT !  du groupe Maoiste VLR (Vive la RĂ©volution) puis dans son Rapport contre la normalitĂ©. 

En vĂ©ritĂ©, la crĂ©ation du FHAR est baignĂ©e de l’influence Ă©mergente du mouvement fĂ©ministe, qui s’est construit de maniĂšre autonome de la gauche et du mouvement ouvrier. Par ailleurs, ces derniers font peu de cas des vellĂ©itĂ©s des fĂ©ministes et a fortiori des homosexuels. Ces deux rĂ©alitĂ©s rendent impossible la construction d’un front commun. Cela est particuliĂšrement vrai quand on voit que la tentative de participation de militant·e·s du FHAR et du MLF Ă  la manifestation du 1er mai 1971, sous la banderole “À bas la dictature des normaux”, est violemment rĂ©primĂ©e par la CGT. L’annĂ©e mĂȘme de sa fondation, en 1971, les lesbiennes du FHAR se rĂ©unissent en parallĂšle et organisent avec d’autres militantes du MLF les Gouines Rouges. La crĂ©ation des Gouines Rouges rĂ©pond Ă  un double enjeu. Au sein du MLF, bien que les lesbiennes y soient sur-reprĂ©sentĂ©es, les questions en lien avec le lesbianisme sont marginalisĂ©es. Au sein du FHAR, qui a Ă©tĂ© fondĂ© en majoritĂ© par des lesbiennes, celles-ci sont trĂšs vite mises en minoritĂ© par les gays qui rejoignent massivement le collectif. Bien que la lutte contre le patriarcat soit revendiquĂ©e, les lesbiennes y subissent quand mĂȘme de la misogynie. Cette premiĂšre expĂ©rience revendiquĂ©e de mixitĂ© peine donc Ă  se concrĂ©tiser. Par ailleurs, l’expĂ©rience des Gouines Rouges ne dure pas beaucoup plus longtemps que le FHAR puisque l’activitĂ© du groupe s’arrĂȘte dĂšs 1973. Ainsi, bien que ces groupes aient Ă©tĂ© retenus par l’Histoire, ils sont restĂ©s une tentative trĂšs Ă©phĂ©mĂšre.


Militantisme lesbien, mixité et non-mixité

La question de la mixitĂ© est centrale dans les dĂ©bats lesbiens des annĂ©es 70 et 80. Cette tension permanente se fait avec la difficultĂ© de militer et de trouver sa place dans des organisations mixtes (politiques et syndicales), bien qu’il s’agisse pour beaucoup de militantes rĂ©volutionnaires convaincues par la lutte des classes. MalgrĂ© cette tension, les militantes lesbiennes sont prĂ©sentes dans ces organisations. Elles poussent les revendications fĂ©ministes et homosexuelles en interne. Ainsi, Ă  partir de la fin des annĂ©es 70 et le dĂ©but des annĂ©es 80 avec la dĂ©pĂ©nalisation de l’homosexualitĂ©, l’ensemble des partis du mouvement ouvrier modifient progressivement leurs positions et leur politique envers les homosexuel·le·s. C’est la rĂ©sultante du combat de ces militant·e·s homosexuel·le·s dans leur propres organisations, ainsi que du rapport de force interne/externe poussĂ© par les mouvements autonomes qui gagnent de l’ampleur, bien plus que de l’opportunisme des partis.

Mais si la prĂ©sence de militantes lesbiennes montre que la mixitĂ© est une stratĂ©gie de lutte, il n’en demeure pas moins que la non mixitĂ© a Ă©tĂ© revendiquĂ©e au sein du mouvement lesbien. Cette non mixitĂ© est alors de deux types : une non-mixitĂ© du groupe des femmes d’une part ou non mixitĂ© homosexuelle d’autre part.

En effet, un nombre important de lesbiennes considérent que le combat contre le patriarcat se fait au sein du mouvement féministe et revendiquent ainsi une non mixité féminine. C'est pourquoi de nombreuses lesbiennes ont continué à militer au sein d'organisations comme le MLF, le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception) ou d'autres organisations en lien avec la santé des femmes.

Tout au long des annĂ©es 70, la mixitĂ© au sein du mouvement homosexuel entre lesbiennes et pĂ©dĂ©s peine Ă  se construire. Les GLH (Groupes de LibĂ©ration Homosexuelle) sont principalement masculins dans les grandes villes, et les lesbiennes qui militent hors du mouvement fĂ©ministes se retrouvent surtout dans des groupes tel que le MIEL (Mouvement d’Information et d’Expression des Lesbiennes) ou le GLF (Groupe des Lesbiennes FĂ©ministes). Comme le montre Justine Fourgeaud[6], c’est au sein du CUARH (ComitĂ© d’Urgence Anti RĂ©pression Homosexuelle) qu’une mixitĂ© relative mais rĂ©elle parvient Ă  s’organiser concrĂštement.

Le CUARH se fonde Ă  la suite des UniversitĂ© d’ÉtĂ© Homosexuelles de 1979 Ă  Marseille, et a comme objectif de coordonner les groupes homosexuels Ă  l’échelle nationale. Il lutte contre les interdictions professionnelles qui, de fait, excluent les homosexuels de la fonction publique. Par la suite, la mobilisation se porte sur les dispositifs du code pĂ©nal ainsi que policier qui criminalisent l’homosexualitĂ©, jusqu’à leur abrogation totale en 1982. Cette abrogation n’est adoptĂ©e qu’aprĂšs de longues campagnes et une forte pression exercĂ©e sur le gouvernement de Mitterrand afin que celui-ci tienne ses promesses de campagne.

Bien que le CUARH se revendique mixte dĂšs sa crĂ©ation, les groupes lesbiens ne le rejoignent qu’à partir du dĂ©but des annĂ©es 80 (en 1983, ils ne reprĂ©sentent que 14 groupes sur les 61 qui composent le CUARH). Dans un premier temps, cette mixitĂ© est surtout motivĂ©e par une volontĂ© stratĂ©gique de convergence des luttes entre mouvement homosexuel et mouvement fĂ©ministe. De plus, dans les villes plus petites, la mixitĂ© est souvent rendue nĂ©cessaire pour pallier l'absence de forces militantes suffisantes. Par la suite, le travail commun sur la rĂ©pression lĂ©gale favorise l'Ă©mergence d’une identitĂ© homosexuelle commune. En effet, les lesbiennes subissent peut-ĂȘtre moins de harcĂšlement policier, mais elles se mobilisent contre d’autres formes d'oppression, comme par exemple la perte de la garde d’enfant pour motif d’homosexualitĂ©. Toutes ces questions idĂ©ologiques, stratĂ©giques ou mĂȘme de fonctionnement concret font l’objet de nombreuses discussions, qui se retrouvent notamment dans Homophonie, la revue du comitĂ©. 

Les lesbiennes qui font le choix de la mixitĂ© au sein du CUARH se retrouvent plus particuliĂšrement contraintes de justifier cette mixitĂ©. En particulier face aux attaques des groupes de lesbiennes radicales comme les Lesbiennes de Jussieu ou le Front des Lesbienne Radicales qui rejettent le sujet “femme” et refusent la possiblitiĂ© d’une lutte commune avec les fĂ©ministes hĂ©tĂ©rosexuelles et les hommes. Parmi ces justifications, souvent assez rĂ©formistes, il y a l’idĂ©e que le CUARH est la seule possibilitĂ© de lutter contre la rĂ©pression pĂ©nale, dans l’idĂ©e d’amĂ©liorer les conditions de vie.

À la suite de la dĂ©criminalisation en 1982, le mouvement perdant sa raison premiĂšre d’ĂȘtre, il ne parvient pas Ă  se maintenir en activitĂ© trĂšs longtemps. De plus, il est rapidement marginalisĂ© par de nouvelles gĂ©nĂ©rations d’homosexuel·le·s qui ne se reconnaissent plus dans l’activitĂ© politique, et dont la sociabilitĂ© passe maintenant par le dĂ©veloppement d’une vie associative et d’un capitalisme homosexuel naissant[7]Les difficultĂ©s de ces militantismes sous une forme ou une autre de mixitĂ© incitent certaines militantes Ă  adopter une posture revendiquant une forme de non-mixitĂ© ou de sĂ©paratisme lesbien. Les Gouines Rouges en est le premier exemple, quand bien mĂȘme elles continuent d’ĂȘtre en lien avec le MLF et de s’adresser principalement Ă  elles. Plus tard, une partie d'entre elles se radicalisent davantage et rejettent plus fortement les deux mouvements (fĂ©ministe et homosexuel). C'est le cas par exemple de Monique Wittig qui oppose aux "lesbiennes fĂ©ministes" son "lesbianisme politique", revendiquant que les lesbiennes ne sont pas des femmes, et qui ne voit que trĂšs peu d'intĂ©rĂȘt dans le militantisme gay car les hommes, mĂȘmes homosexuels, garderont toujours une position de "phalocrate". Cette position trouve une place importante dans l’historiographie transpĂ©dĂ©gouine en particulier due Ă  la production intellectuelle et thĂ©orique importante de Wittig. Cependant elle reste une position marginale qui n’est pas sans impasse car elle fait fi de comprendre que rares sont les lesbienne Ă  n’ĂȘtre pas des femmes, Ă  n’ĂȘtre pas des ouvriĂšres, Ă  n’ĂȘtre pas uniquement des lesbiennes. Mais surtout parce qu’elle se retrouve dans une impasse stratĂ©gique dont la suite des luttes LGBTI ne sont pas exemptes : une fois que l’on a effectuĂ© le sĂ©paratisme, comment renverser le systĂšme qui produit notre oppression et empĂȘche notre Ă©mancipation ? 


Les annĂ©es SIDA, les lesbiennes et l’intĂ©gration

Les annĂ©es 1980 marquent un tournant dans l’activitĂ© politique homosexuelle avec la lutte contre l'Ă©pidĂ©mie de SIDA. La communautĂ© lesbienne s’illustre alors par son activisme, en soutenant politiquement les personnes ayant contractĂ© la maladie mais aussi en leur apportant des soins, dans une indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale. Le contexte de l’épidĂ©mie avec la mort de milliers d’homosexuels, les consĂ©quences de la dĂ©pĂ©nalisation de l’homosexualitĂ© mais aussi l’exercice de la gauche au pouvoir modifient concrĂštement la situation matĂ©rielle des lesbiennes et homosexuels. La gauche au pouvoir et son lien avec les revendications homosexuelles et fĂ©ministes permettent une voie d’institutionnalisation de nos mouvements et une forme de dĂ©faite du mouvement ouvrier dans ces annĂ©es-lĂ , quand bien mĂȘme certaines revendications sont alors acquises (dĂ©pĂ©nalisation, PACS, puis mariage). Mais cela consacre aussi la stratĂ©gie de lobbyisme suivie par les associations communautaires souvent liĂ©es Ă  la gauche rĂ©formiste et en particulier au Parti Socialiste. On voit alors la communautĂ© devenue LGBTI s’intĂ©grer progressivement et vivre une forte dĂ©politisation. Face Ă  cela, c’est la naissance de thĂ©ories radicales qui s’opposent Ă  l’intĂ©gration de la majoritĂ© de la communautĂ©. Le divorce avec le mouvement ouvrier est alors presque total et empĂȘche une position autre que minoritaire. 


Conclusion

Le sĂ©paratisme et les formes de non mixitĂ© lesbienne ont Ă©tĂ© la production d’une Ă©poque liĂ©e Ă  l’incapacitĂ© du mouvement ouvrier Ă  non seulement intĂ©grer la communautĂ© LGBTI comme Ă©tant constituante de la classe, mais surtout Ă  ne pas remettre en cause l’hĂ©tĂ©rosexualitĂ© comme structure du systĂšme capitaliste. Un rapport de force a Ă©tĂ© induit par la constitution du mouvement autonome des femmes et des homosexuels se rĂ©clamant partie constitutive du mouvement ouvrier et de la gauche, mĂȘme si cela ne s’est pas fait sans tension. C’est ce qui a permis Ă  celles-ci de gagner une place dans les organisations et des revendications permettant l’amĂ©lioration des conditions matĂ©rielles des homosexuel·le·s.

Mais comprendre notre histoire, c’est aussi ne pas lui cracher dessus parce que nous en sommes les hĂ©ritiĂšr·e·s tout en tirant des leçons. En cela, si le mouvement ouvrier est comptable de la production du sĂ©paratisme, si celui-ci peut ĂȘtre un outil, il ne peut ĂȘtre une stratĂ©gie. Plus que jamais, comprendre que notre oppression est produite par le capitalisme et que l’unitĂ© de la classe permettra de dĂ©truire le systĂšme capitaliste, est vital. C’est pourquoi aux inverti·e·s nous pensons une stratĂ©gie de massification sans aucune illusion envers le rĂ©formisme, ou autrement dit comme l’écrivait Karl Marx : “Une idĂ©e devient une force quand elle s’empare des masses”. 


[1] Quand nos désirs font désordre. Une histoire du mouvement homosexuel 1974-1986, Mathias Quéré.

[2] Thermidor au foyer dans La révolution trahie, Léon Trotsky, 1936.

[3] Lesbiennes, pĂ©dĂ©s, arrĂȘtons de raser les murs. Luttes et dĂ©bats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990) sous la direction de H. Bouvard, I. Eloit, M. QuĂ©rĂ©. Chapitre 1 : Splendeur et misĂšre des Alliances. La Commission Nationale Homosexuelle de la LCR (1975-1983) et la fabrique d’une coalition pour le mouvement homosexuel. Par Corto le Perron.

[4] Qui sÚme le vent récolte la tapette, Une histoire des groupes de libération homosexuels en France de 1974 à 1979, Mathias Quéré.

[5] Toute une vie : Magnus Hirschfeld (1868-1935), à la défense du troisiÚme sexe. 2025, Camille Desombre, France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/magnus-hirschfeld-1868-1935-a-la-defense-du-troisieme-sexe-6853967

[6] Lesbiennes, pĂ©dĂ©s, arrĂȘtons de raser les murs. Luttes et dĂ©bats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990). Collectif, 2023, Éditions la Dispute. Chapitre 7 : L’épreuve de la mixitĂ© homosexuelle. Les militantes lesbiennes au sein du CUARH. Par Justine Fourgeaud.

[7] Quand nos dĂ©sirs font dĂ©sordre. Un histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986. Mathias QuĂ©rĂ©, 2025, Lux Éditeur.

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